Elections européennes : pour une Europe qui accueille

Suis–je le gardien  de mon frère ? (Gn 4,9)

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A cette interrogation renvoient les questions d’asile et d’immigration qui seront au cœur des débats des élections européennes du 26 mai 2019. Les migrations sont une question qui touche tous les territoires, tous les continents, avec des phénomènes d’ampleur inédite : Syrie,  Venezuela, Erythrée.…

En France et en Europe, la question migratoire est largement instrumentalisée par certains partis politiques, malgré des chiffres  qui restent  limités dans la réalité. Sait-on que ce n’est pas l’Union européenne qui accueille le plus de réfugiés, mais la Turquie (3,5 millions), le Pakistan et l’Ouganda (1,4 millions chacun), ou encore  le Liban (998.900) ? D’ailleurs 85% des réfugiés sont accueillis dans les pays du Sud. En 2015, seulement 0,63 % de tous les déplacés mondiaux ont franchi les frontières de l’Europe, après, le plus souvent, un parcours migratoire de 2 ans. Nous sommes bien loin d’être envahis.

Nous vivons donc en Europe, et en France, moins une crise migratoire qu’une crise de l’hospitalité, de l’accueil.

 

A travers l’adoption de la loi Asile /immigration en 2018, rédigée sans concertation avec la société civile ou les autorités religieuses, morales, et locales, la France a confirmé et durci encore sa politique migratoire.

Au niveau européen, les gouvernements se montrent toujours incapables de  trouver une ligne commune et l’exemple cynique de l’Aquarius[1] est là pour nous le rappeler. Quant aux discussions sur le règlement de Dublin[2], elles sont à l’arrêt, condamnant de plus en plus de demandeurs d’asile à vivre dans la clandestinité.

Les propositions qui sont faites vont toutes dans le sens d’un durcissement, tant domine la politique de l’Europe forteresse. Ce phénomène va sans doute être renforcé à l’approche des élections européennes de mai 2019.

 

Pourquoi cette posture de nos gouvernement européens ? Elle s’appuie sur le sentiment au sein des opinions nationales d’un échec de l’intégration des immigrés, sur fond de difficultés économiques et sociales : peur du « grand remplacement », préjugés sur les musulmans, crainte du déclassement ou de la perte d’identité, font voir l’autre, l’étranger, comme une menace. Cette situation est exploitée par les partis populistes et les a propulsés dans le jeu politique de plusieurs pays comme l’Autriche, la Hongrie, l’Italie, le Danemark, l’Allemagne.

 

Pourtant il existe une prise de conscience de plus en plus forte de la nécessité d’une gestion partagée des flux migratoires à l’échelle mondiale, ce que dit le Pacte mondial de Marrakech pour des migrations, sûres, ordonnées et régulières : « […] aucun Etat ne peut seul faire face aux migrations, compte tenu de la nature transnationale du phénomène. »

In « Nos ambitions et principes directeurs, coopération internationale 15, b»

L’exil des réfugiés syriens en 2015-2016 a sans nul doute constitué un tournant. Il a été, malheureusement,  le révélateur d’une crise majeure de  la solidarité et des politiques migratoires en Europe. En effet en 2015, devant le pic de d’arrivées de demandeurs d’asile, la Commission européenne avait proposé l’instauration de quotas obligatoires de réfugiés répartis entre Etats membres, au nom de la solidarité, mais cette proposition avait été rejetée par le groupe de Visegrad – Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie. Mis à part l’Allemagne en 2015 et 2016, les autres pays européens, dont la France, ont fait le minimum pour accueillir les réfugiés et les migrants tout en développant des discours sur les valeurs fondamentales de la construction européenne et du devoir de solidarité. « Ils disent et ne font pas. » (Matthieu, 23) Dans la réalité, la majeure partie des pays européens ont  laissé en première ligne  la Grèce et l’Italie seuls responsables de l’accueil des demandeurs d’asile à cause du règlement Dublin (voir note 2). La solidarité européenne n’a pas été au rendez-vous de l’Histoire, ni envers les exilés, ni entre pays de la communauté.

 

 

Dans ce contexte, il y a donc pour les chrétiens une ardente obligation à faire entendre une autre voix, à s’investir dans les débats pour rappeler, à contre courant de l’opinion dominante,  que la pensée sociale de l’Eglise promeut l’accueil de l’étranger et le droit à migrer:

« Les autorités publiques nieraient injustement un droit de la personne humaine si elles s'opposaient à l'émigration ou à l'immigration, ou si elles y faisaient obstacle » (De pastoralis migratorum cura, ch. 1, n° 7).

Nous devons agir pour provoquer chez nos concitoyens ce changement de mentalité auquel nous appelait le Pape François en juin 2018, afin de « passer de la considération de l’autre comme une menace à notre confort pour l’estimer comme une personne qui, avec son expérience de vie et ses valeurs, peut contribuer à la richesse de notre société. ». Osons dire, nous qui vivons chaque jour la rencontre avec l’autre, combien elle nous fait grandir en humanité, osons proclamer que cet étranger   venu d’ailleurs  est notre frère, que nous sommes responsables de lui, que nous voulons une Europe qui accueille, une Europe solidaire entre Etats membres et avec les exilés, une Europe  digne des valeurs qui l’ont fondée,  non une Europe forteresse, qui rejette l’étranger et se replie sur elle-même.

 

Claudine Lanoë, déléguée diocésaine à la Pastorale des migrants.

 

[1] Après avoir sauvé 629 migrants en détresse au large de la Libye, le 9 juin 2018, le navire Aquarius , de l’ONG SOS Méditerranée est resté bloqué en mer faute de pouvoir accoster , l’Italie et Malte refusant de lui ouvrir ses ports. C’est finalement l’Espagne qui acceptera qu’ils débarquent à Valence, le 17 juin.

[2] Le règlement dit de Dublin oblige un demandeur d’asile à demander cet asile dans le pays d’entrée en Europe, ce qui revient à reporter l’effort d’accueil sur l’Italie et la Grèce ; il nie le droit de toute personne à s’installer dans le pays de son choix. La situation actuelle en Italie conduit ceux que l’on appelle les « dublinés » à entrer dans la clandestinité par peur d’être expulsés. Le règlement de Dublin fabrique donc des sans papiers.

Article publié par Pastorale des migrants • Publié le Vendredi 26 avril 2019 • 1638 visites

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